CONTENUANT, une exposition de Flore Valette et Victor Vazquez
Dans le cadre de La Fenêtre Fraîche*
Jusqu’au 19 janvier 2024
* La Fenêtre Fraîche est un projet inscrit dans le cadre de la plateforme NDE coordonnée par Marie Adjedj, Virginie Barré, Antoine Dorotte, Bruno Peinado et Eva Taulois, toustes enseignant·es.
« La Fenêtre Fraîche » est un espace d’exposition mis à disposition des étudiant·es et artistes invité·es dans le cadre de la plateforme NDE. Cette galerie se loge dans une fenêtre des ateliers techniques de l’école et dès la tombée de la nuit envoie des signes de la vitalité de l’art sur l’esplanade F. Mitterrand comme autant de bouteilles à la mer.
Pour le premier événement de l’année dans « la Fenêtre Fraîche », Flore Valette et Victor Vazquez – étudiant·es en 4e année – vous invitent à découvrir leur exposition intitulée CONTENUANT. Celle-ci est à voir jusqu’au 20 décembre 2023 !
La double proposition que nous avons imaginé est la suivante : penser un accrochage qui puisse être à l’origine d’une nouvelle présentation des travaux tout en respectant leurs individualités, la mise en espace, la création d’un dispositif comme générateur d’une conception originale du travail de notre duo d’artistes constitué pour ce projet. Notre désir est surtout de faire émerger au gré des rencontres, de l’exploration des formes et des matières des céramiques et des peintures, un nouveau réseau sémantique, une nouvelle appréhension des pièces.
Il semble que nos pièces évoluent à travers un certain rapport de contact, un contact double. Le premier degré de contact serait celui de la picturalité que partagent les productions exposées : l’expérimentation des émaux relève d’une recherche en couleur – en s’intéressant de près aux vases on peut s’apercevoir des touches de couleurs réalisées au pinceau et des éclats de peinture réalisés à la brosse à dent, ou bien être attentif au marbrage de la terre – de la même façon les peintures interrogent aussi les rapports de composition et les propriétés picturales de certains objets, choisis pour leurs richesses de couleurs et de formes.
De ce premier degré de contact en découle un suivant : il est apparu à la suite de la lecture du texte « Théorie de la fiction panier » d’Ursula Le Guin. Dans ce texte, Le Guin revisite l’histoire des outils de la préhistoire par une lecture féministe du panier (un contenant), objet qui accueille les graines, en opposition à la hache ou à l’objet contondant qui pourfend la bête. Elle s’oppose à la théorie préhistorique du héros chasseur fondateur de la civilisation, en proposant celle de la/du cueilleur.euse. ». Grâce à ce texte nous nous sommes rendu compte que les objets représentés sur les peintures, la fleur ou la banane, rentrent en dialogue avec la fonction des vases.
En effet ces objets représentés en peinture peuvent être contenus dans les vases en céramique, les contenants. Réalisés en terre, au tour de potier, ces contenants émaillés ou bruts, ne sont pas sans rappeler la surface vierge d’une toile, destinée elle aussi à accueillir une forme picturale, une expérimentation plastique. Ainsi ce rapport de contact en diptyque nous semblait fonctionner et être assez pertinent pour être à l’origine d’une mise en espace, pour faire émerger ces recherches et les exposer.
Contenant ou contenu, objet ou corps, signifiant ou signifié, sont autant de mots qui interagissent les uns avec les autres, résonnent ensemble, sont interdépendants ou encore réciproques. Tous ces mots conviennent à la description de l’interaction des oeuvres présentées dans « La Fenêtre Fraîche » de Flore Valette et Victor Vazquez.
Victor Vazquez : Peut-on considérer tes céramiques comme support pictural ? Je m’explique : que ce soit en marbrant la terre de tes vases ou en les nappant d’émail, je trouve que tes objets proposent une recherche de couleurs et de formes dans l’espace. Ils relèvent aussi d’une recherche de composition notamment dans la conception de ton travail en série.
Flore Valette : Je pense que ce côté pictural n’est pas volontaire, il apparaît au fil du temps, lorsque les pièces sortent peu à peu du four et que l’effet des émaux se révèle. Je cherche et j’essaie d’utiliser l’émail comme un peintre avec sa palette, je l’applique donc à l’éponge, aux pinceaux, je viens appliquer à la petite cuillère des coulures pour qu’elles se mélangent à une autre couche d’émail. Chaque émail a sa propriété et vient revêtir la pièce, avec ces superpositions, je crée une accumulation de couches qui mènent à des couleurs aléatoires ou non désirées. J’aime beaucoup cet aspect hasardeux et cet effet de surprise entre le moment où j’applique d’une certaine façon avec des gestes plutôt précis et le moment où la transformation et les réactions s’opèrent, car je n’ai plus le contrôle ni la possibilité d’intervenir. En ce qui concerne le marbrage, c’est un peu le même principe que l’émail, je mêle les terres qui sont de couleurs différentes, lisses ou chamottées et au contact des unes des autres, des textures, des liserés, des fondus, des nuances se manifestent, toujours avec cette part d’incontrôlable. Dans ma pratique, je travaille toujours en série, j’ai commencé à tourner en mai 2023, et je me suis très vite familiarisée avec cette technique. Je pense que la céramique est un médium qui permet davantage ce fonctionnement sériel. Avant de tourner une pièce, je n’ai pas d’idée préconçue quant à la forme que l’objet va prendre, c’est à travers les gestes que les formes se constituent, ce qui fait de cette série une multitude de pièces uniques : hautes, basses, évasées ou plus étroites.
VV : Je te rejoins sur la conception de ton travail en série et sur l’appréhension du travail à l’atelier comme expérimentation, c’est aussi ce que j’essaye de mettre en place et que j’expose ici aujourd’hui. En fait pour moi ces diptyques présentent une première recherche travaillée en restant fidèle à mon sujet et une deuxième recherche qui découlerait plus du hasard ou du moins d’une libération du geste. J’aime travailler sur de courtes périodes de temps et peindre rapidement pour éprouver l’instant et me pencher sur la spontanéité du corps face à l’activité de création. Je pense souvent à cette phrase dite par Anna-Eva Bergman : « The true secret of art does not lie in the will to create but let something be created through oneself » « Le vrai secret de l’art ne repose pas dans la volonté de créer, mais de laisser quelque chose être créé à travers soi ».
De fait mettre en place des petits rituels pour rendre possible cette liberté face à la création est une partie importante de mon travail, je prépare mes palettes soigneusement et dispose en amont plusieurs châssis pour pouvoir me concentrer sur l’acte de peinture.
FV : Ton travail en peinture se situe à priori dans le champ de la figuration, comment est-ce que tu envisages tes sujets et à travers quel processus tes images émergent-elles ?
VV : Je dirais que mes sujets en peinture se situent à deux endroits. Le premier serait celui d’une figuration assez dure, en tout cas une approche formelle affirmée. Je me concentre sur le sujet choisi pour ses propriétés picturales : par exemple, la banane offrait une grande possibilité de geste allongé au pinceau, de travailler les nuances de jaune et de terre de sienne. Les fleurs en général présentent des caractéristiques de couleurs et de formes multiples et inspirantes. Je m’attache donc dans un premier temps à sculpter la forme au pinceau en respectant les jeux de lumière et les formes et en proposant une composition frontale et un rapport d’échelle qui diffère du réel. De cette première peinture figurative découle une deuxième qui tend à s’éloigner d’un rapport réaliste mais se rattache encore à une recherche formelle, cette fois-ci cependant plus abstraite. Je m’éloigne du sujet pour m’intéresser à la forme, au geste, aux rapports de couleurs : je change ma palette en exagérant ou en remplaçant certains tons et je retourne la toile pour mettre à distance le dessin et observer la couleur comme composante principale de l’image. Cette deuxième appréhension de l’image me permet de me diriger vers des notions plus mentales de la peinture, avec ce paradoxe où simultanément mon corps est plus impliqué. J’aime travailler sur ces deuxièmes tentatives avec des contraintes temporelles qui m’obligent à réagir vite, je mets un peu de musique et c’est parti !
Le deuxième degré d’approche de mes sujets en peinture est le suivant : je m’intéresse à la peinture comme outil de re-présentation, qui offre donc la possibilité de repenser une image, de la mettre en perspective, à distance. Je travaille avec l’historicité symbolique des images, en les détournant et les amenant vers des endroits qui créent du sens pour moi. La fleur est pragmatiquement un organe sexuel mâle et femelle, ouvert sur le monde, frontalement.
La fleur que je présente ici est une tulipe perroquet c’est-à-dire une tulipe bicolore… La notion de binarité de genre ou de bisexualité en tout cas d’un rapport binaire au corps, fait partie du débat public, je trouvais le clin d’oeil amusant. En fait, ce rapport binaire est présent aussi dans les diptyques que je propose, je trouve intéressant l’idée qu’une même image puisse exister dans deux états différents, et ceci côte à côte. Je travaille également en ce moment sur une série d’objets phalliques, commencée avec les bananes, poursuivie avec des aubergines et bientôt des courgettes. Je crois qu’il y a un peu d’humour oui, mais parfois à travers l’apparente banalité de certains objets se cache une pluralité d’interprétation riche de sens.
FV : Quelle est, pourrait-on dire, la famille d’artistes qui accompagne ton travail ou/et qui t’inspire ?
VV : Je m’intéresse à la peinture contemporaine, que ce soit sur les réseaux sociaux où je suis de jeunes peintres plus ou moins amateurs.ices avec plus ou moins de visibilité, ou par des biais plus classiques dans les musées, galeries ou les bibliothèques. L’école est aussi un lieu de rencontre avec la peinture, et un lieu d’inspiration. Je regarde les peintures de Nina Childress, notamment pour ces « good and bad painting ». Je suis de près le travail d’Ida Tursic et Wilfried Mille que je trouve intéressant pour l’innovation technique et le rapport que le duo d’artistes entretient avec ses images, et aussi pour la considération élargie qu’iels défendent du médium de la peinture. J’apprécie aussi les portraits de Marlène Dumas, ceux d’Alice Neel pour sa touche franche et son réalisme, la peinture de Neo Rauch pour sa qualité fictionnelle et sa richesse de signes. Gaël Davrinche, un peintre Lillois est un peu mon coup de coeur du moment : il peint des fleurs sur de très grand formats avec des jus de peinture très aqueux, c’est magnifique. Sinon je suis sensible à la peinture impressionniste, aux mouvements de l’abstraction de la première moitié du 20è siècle, à Mondrian pour le processus d’abstraction qu’il a mis en place dans son oeuvre, à Kandinsky aussi.
Je m’intéresse par ailleurs beaucoup à la théorie artistique et esthétique Susan Sontag par exemple, à la théorie queer et à la philosophie, à la littérature aussi. Je lis les articles d’Elisabeth Lebovici, je suis les dernières parutions de Paul B. Preciado, je m’intéresse aux mouvements sociologiques et philosophiques français de la deuxième moitié du 20è siècle et contemporain, je lis Foucault et ses héritiers, Didier Eribon, Geoffroy De Lagasnerie, Edouard Louis, notamment. Voilà c’est à peu près tout.
VV : Et toi Flore, quelles sont tes inspirations ?
FV : Je dirais que je m’appuie beaucoup sur le travail de Valentine Schlegel, qui était céramiste, sculptrice et portait un oeil attentif aux petites choses du quotidien avec une pratique artistique très proche de l’artisanat. J’aime beaucoup sa façon d’articuler ses ensembles d’objets à la fois utilitaires mais toujours pensés avec une esthétique, et son art de vivre. Quant au travail d’Hélène Bertin je souligne sa posture, son pas de côté, son intérêt pour les modes de vie divers et variés de celles et ceux qui ont lutté. Elle a notamment proposé dans son exposition « Cahin-caha » un ensemble de gros pots en grès en reprenant des méthodes de travail ancestrales, comme la cuisson au feu de bois. Ce que j’aime tout particulièrement dans son travail, c’est qu’elle croise et mêle les techniques, les gestes et les manières de faire. Les collections de vaisselles et de mobiliers de Ferréol Babin avec leurs aspects bruts, rugueux et asymétriques me plaisent. J’admire beaucoup ses compositions et la manière dont il articule les matériaux, comment il les confronte, le bois avec toutes les essences différentes et les textures et aspérités de la céramique. Je dirai que ces 3 artistes m’ont donné envie de concevoir cette série de pots, de vases, de contenants.