Retour sur l’exposition « demain les grottes » présentée à l’école les 15 et 16 février 2021 à l’EESAB-site de Brest. Elle fait suite à l’atelier mené autour de la relation gravure/peinture et de l’art pariétal ces derniers semaines par des étudiant.e.s de l’option art, avec Marie-Michèle Lucas et Elie Godard. A la fin de l’exposition, il était possible de composer sa propre édition après avoir visité la grotte.
Photos sur le flickr : https://www.flickr.com/photos/187476150@N03/albums/72157718510020575
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Texte de Marie-Michèle Lucas et Elie Gorard, enseignants référents :
« Au départ, il y a cela, la gravure vieux medium ou moins vieux c’est selon, rangé dans les arts appliqués parfois, flirtant avec l’édition, avec le livre d’artiste de plus en plus ! Graver, quel est donc ce geste ? Les ateliers de peinture eux aussi ont été soumis aux assauts des questions, des reniements et des ré-inventions. Peindre, quelle est cette action ? Quel est ce geste ? Alors juste ça, un atelier de gravure avec des pratiques toujours présentes et un enseignement de peinture, autre, changé d’avant, mais là !
Dans le cursus de l’école d’art, il y a ces modules posés ensemble pour les mêmes étudiants.tes, gravure ou images multiples et peinture dite aussi couleur… Alors cette question du lien entre graver et peindre ? Qu’est-il devenu aujourd’hui en 2021 ? Chaque medium a tracé son chemin sans regarder l’autre. Ce lien existe-t-il encore ?
Avec Flora Moscovici artiste, enseignante en peinture, nous avons imaginé construire autour d’une première étape de dépaysement, se mettre ensemble à regarder une relation gravure peinture d’il y a longtemps. Une visite dans Dordogne vers Combarelle tout en gravure et Font-de Gaume tout en peinture ? C’est un peu plus complexe mais il y a de cela dans notre choix de partir en décembre vers Bordeaux d’abord (visite de l’expo Narcisse ou la floraison des mondes au frac) et vers la vallée de la Vezère ensuite, un parcours dans les grottes magdaléniennes et aussi dans la fictionnée Lascaux.
Nous avons laissé les arpentages entre les bisons, lions, rhinocéros laineux… faire trace, le geste entre creuser et peindre se glisser dans nos rêves de grottes.
Le confinement aura certainement appuyé ces désirs souterrains, s’inventer des grottes primitives, et se débrouiller pour graver et peindre avec les moyens du bord que notre enfermement covidien a imposé. Des trouvailles, pourtant dans cette période mais des éléments travaillés dans la solitude et partagés seulement en petites images sur écran.
Le retour dans les ateliers de l’école en septembre 2020 et le partage de nos expériences solitaires aura entraîné un désir d’expériences communes tout en maintenant une puissance d’exploration du bestiaire magdalénien et des questions diverses, quels sont donc ces animaux représentés qui ne sont pas ceux de la vie quotidienne mais d’autres, que sont aussi ces figures abstraites géométriques dites tectiformes, comment graver s’enchaîne à peindre ou l’inverse, comment la couleur du support est différente de celle qui est apportée, d’où vient ce pigment qui romp… Quels sont ces dessins de l’origine, sans doute ne sont-ils pas l’origine, y avait-il école pour apprendre les traits, la représentation des mouvements, la description de la matière?
Questions encore
Place du collectif, place du regard critique, place de la sélection de ce que l’on prépare et montre, place du récit enfin. Inventer une parole pour ces dessins d’il y a longtemps, écrire sur ces pratiques d’il y a quoi 30 à 40 000 ans avant nous ?
Faire place aux échanges, les dessins, les textes, les peintures, les objets, les investigations lors d’une table ronde où participaient Elie Godard (artiste, nouvel enseignant de peinture-couleur) et Florent Miane (historien d’art). Il s’agissait de faire le point sur les explorations déjà engagées, de vérifier l’intérêt de notre question de départ et de partager ses observations de collaboration entre artistes et d’expériences d’édition décalées. Cette table ronde constituée de présentation pièces augmentées des réflexions menées par les étudiants.tes a eu lieu le 22 octobre 2020, il s’agissait de D’abord les grottes,
L’enthousiasme des un.es et des autres a lancé la suite : un projet d’exposition, une salle d’édition.
Un nouveau confinement sanitaire, moins contraint mais paralysant quand même a freiné les projets de faire venir Flora Moscovici pour nous aider à aboutir une exposition, les annonces diverses ont aussi ralenti, dispersé les attentions mais pas l’énergie et la grande puissance des étudiant.tes. Il.elles ont décidé de fonctionner en autonomie, de rassembler le matériel, de se questionner sur le plan d’accrochage, sur les pièces à faire agir ensemble. Le public a été interdit de visite mais pas les collègues de l’école et pas les autres étudiant.tes ou visiteurs avertis.
De toutes les manières il a fallu entrer en résistance, et la manière la plus évidente fut de travailler ensemble. Chacun.e.s avait la responsabilité de l’autre et de son ensemble. Il ne s’agissait pas d’entretenir la nostalgie d’un passé idéal, ni de proposer une interprétation conservatrice des évolutions culturelles mais bien de creuser dans nos fondements et comment et pourquoi nous avons tant besoin des autres.
L’idée d’une grotte platonicienne avec des dessins sur les murs, en rapportant du charbon de la plage. Construire un couloir de grottes avec la surprise des changements de volume, l’architecture géométrique recèle des recoins aux formes géologiques de tunnels calcaires et Lascaux spectacularisée nous prête ses lumières noires et ses inscriptions phosphorescentes quand on appuie sur le bouton, la vache rouge se pare de clitoris et de vulves fluorescentes et Robinson perd son âme sur une carte dessinée au fusain sur le mur.
L’atelier d’édition prend place, chacun pourra composer son livre pour quitter l’endroit avec en appât et en appui les matrices préparées entre cochons d’abattoirs, vaches symbolisées et graffiti d’aujourd’hui pour insister sur ceux d’autrefois.
La peinture s’est frayée un chemin dans la lumière, les grottes de d’abord les grottes de la table ronde sont devenues demain les grottes comme un avenir à écrire et la gravure s’est installée dans l’édition composite à la photocopieuse et à l’impression lino sur papier coloré.
Le résultat je ne sais plus, juste le chemin que chacun se fraie entre graver et peindre, creuser et colorer, entre loin dans le temps et demain dans le futur …mais surtout une puissante transformation d’un espace à l’intérieur duquel on se sent à la fois à des années lumières d’une école d’art (en 2021) et à la fois, totalement dedans« .