La Dolce Vita, une exposition de Fantine Guimbretière
« La Fenêtre Fraîche » est un espace d’exposition mis à disposition des étudiant·e·s et artistes invité·e·s dans le cadre de la plateforme NDE. Cette galerie se loge dans une fenêtre des ateliers techniques de l’école et dès la tombée de la nuit envoie des signes de la vitalité de l’art sur l’esplanade F. Mitterrand comme autant de bouteilles à la mer.
Pour le huitième événement de l’année dans « la Fenêtre Fraîche », nous avons le plaisir d’accueillirFantine Guimbretière , étudiante en 3e année. Son exposition qui a pour titre « La Dolce Vita » se tiendra du 7 au 26 avril 2022. Elle s’inscrit dans le prolongement des projets présentés dans la fenêtre depuis 6 ans qui abordent les héritages de la modernité et leurs possibles prolongements dans une école d’art.
Ici l’univers fantasmé de l’intime et du foyer tant abordé par les mouvements de la modernité, nous est donné à penser par les recherches de Fantine. Après deux années de confinement, où nous avons eu à repenser nos rapports à nos vies domestiques, du moins pour celles et ceux qui avaient la chance d’en avoir. Après plus d’un mois des drames de la guerre en Ukraine masquant certainement parfois tous les autres conflits où des milliers de personnes doivent quitter leurs pays et leurs foyers. Après Richard Hamilton qui, depuis l’Angleterre de 1956 et ce fameux collage inventant le Pop Art «Just What is It That Makes Today’s Homes So Different, so Appealing?», une œuvre qui questionnait les attentions grandissantes que la génération des boomers allaient prodiguer à leurs intérieurs; un devenir Stéphane Plaza d’une génération qui, comme le disait Gilles Ivain dès 1953 dans l’Internationale Lettriste, préfèrera «le confort du foyer et d’un vide ordure à la révolution». Après tout cela et tant d’autres choses encore, Fantine nous propose dans ce lieu si singulier de cette fenêtre/vitrine séparant l’intime de l’espace public par cette fine interface d’une vitre miroitante, une installation rejouant un intérieur en trompe l’œil et prolongeant ces fantasmes ou mirages d’un endroit à nous, un endroit où nous serions à notre place, une chambre à soi «aux meubles polis par les ans»1 où tout ne pourrait être «qu’ordre et beauté, luxe calme et volupté»1.
Des recherches entre fascination et critique qui, comme le nomme Claire Marin dans son dernier livre «Etre à sa place»2, s’intéressent à ces injonctions d’avoir à trouver notre place ou ces assignations à devoir rester à notre place dans une société qui tend à tout catégoriser. Une relecture de ce qui sépare l’intime de la sphère publique, qui dans une école d’art, où chacun.e n’est pas sans ressentir la pression à trouver sa voie, et à devoir la chercher souvent au plus profond de son intimité, trouve une place évidente par les questions qu’elle soulève.
Fantine s’est prêtée à un jeu de questions/réponses afin de nous en dire plus sur son projet :
NDE – Que voit-on ?
F – On observe un décor d’intérieur de maison, un archétype que tout le monde peut reconnaître.
– Comment est-ce fait ?
– Ce sont des morceaux de contre-plaqué peint à l’acrylique dans une gamme chromatique pastel avec des morceaux de tissus découpés pour faire des rideaux et des tasseaux pour recréer des barreaux de fenêtre.
– Qu’est-ce que cela évoque pour toi ?
– C’est ce concept de foyer qui est très important pour moi car il représente ce qui m’a forgé, un morceau de mon évolution et il est une partie de celle que je suis aujourd’hui. Ce foyer représente aussi le confort du « chez soi » où on se sent bien. Il y a également la notion de l’intime, entre ce qu’on choisit de montrer ou non, que ça soit de l’intérieur ou de l’extérieur.
– Comment s’est opéré le choix du titre ?
– En réfléchissant à ma fenêtre, j’ai cherché un titre qui parlait à tout le monde qui évoquait à la fois la douceur et le bien-être mais aussi mes origines italiennes qui me rappellent mes vacances et une ambiance familiale agréable.
– En quoi le titre nous informe-t-il ?
– La dolce vita me fait penser à la nostalgie du temps de l’enfance, où on se sent protégé et où on ne se pose pas trop de questions. C’est aussi ce que ce décor évoque pour moi, des souvenirs étant plus jeune.
– Comment cette pièce est-elle arrivée dans ta pratique ?
– L’axe principal de mon travail est le souvenir. Ça fait presque trois ans que je suis partie de chez mes parents, donc la majorité de mes souvenirs se trouve dans le foyer où j’ai grandi. J’ai donc naturellement pris cette direction de la maison d’enfance dans ma pratique pour évoquer cette thématique.
– Est-ce une pièce singulière, ou fait-elle partie d’un corpus plus grand ?
– J’ai commencé par penser cette pièce uniquement dans la fenêtre mais finalement en avançant dans le temps je l’imagine beaucoup plus volumineuse avec plus de pièces pour remplir un espace plus grand. Cette dimension de décor théâtral m’intéresse de plus en plus et cette pièce est un bon point de départ.
– Quelles en sont les sources et les liens ?
– Dans la vie c’est la maison où j’ai grandi de ma naissance à mes 18 ans où le salon y tient une place importante, un lieu de retrouvailles chaleureux où moi et tous mes proches se sentent bien. Et en étant fille unique c’était et c’est toujours un repère pour moi.
– Qu’est-ce que cette pièce t’a appris ? En quoi a-t -elle déplacé ou ouvert quelque chose dans ta pratique ?
– J’ai toujours travaillé le plat et cette fois-ci c’est un moyen pour moi de faire évoluer le plat en volume et le rapport de la couleur avec l’espace. Avec ce travail je viens sortir les plans de couleurs de mes tableaux. Cette installation m’a fait me rendre compte que je veux m’aventurer dans des formats et des visuels plus grands.
1, « L’invitation au voyage », Charles BAUDELAIRE « Les fleurs du mal »(1857)
2, « Etre à sa place », Claire COLLIN (coll « La relève », éditions de L’Observatoire 2022)