« Sweet Dreams »
Laura Beaumier
« La Fenêtre Fraîche » est un espace d’exposition mis à disposition des étudiant·e·s et artistes invité·e·s dans
le cadre de la plateforme NDE. Cette galerie se loge dans une fenêtre des ateliers techniques de l’école et
dès la tombée de la nuit envoie des signes de la vitalité de l’art sur l’esplanade F. Mitterrand comme autant
de bouteilles à la mer.
Pour le neuvième événement de l’année dans « la Fenêtre Fraîche », nous avons le plaisir d’accueillir Laura
Beaumier, étudiante en 3e année. Son exposition qui a pour titre « Sweet Dreams » se tiendra du 6 au 19 mai
2022. Elle s’inscrit dans le prolongement des projets présentés dans la fenêtre depuis 6 ans qui abordent les
héritages de la modernité et leurs possibles prolongements dans une école d’art.
Ici l’autonomie du langage de l’art et de la couleur tant défendu par les mouvements de la modernité, nous
est donné à penser par les recherches de Laura.
En sortant enfin de la grisaille de l’hiver mais toujours habité par les inquiétudes de notre époque c’est vers
les possibles d’un jour nouveau que nous sommes invités par cette proposition.
Dans le prologement de l’engagement des artistes du Color Field painting qui dès 1940 pansent la violence de
la guerre et de la Shoah par des œuvres emplies de couleurs et de radicalité, Laura nous propose de rêver
doucement notre époque.
Et c’est en se saisissant des enjeux de transparence et d’interface que cette fenêtre/vitrine articule en
séparant l’intime des recherches délicates des élèves d’une école d’art des tensions d’une ville qui ne veut
pas toujours d’elleux, et en réfléchissant par l’espace prospectif et fragilisé de l’art tous les dangers d’un
monde à portée des extrêmes et d’ogives nucléaires, que Laura prend position.
Une position subtile, qui affirme le sensible comme un rapport essentiel au monde et c’est sur des bouts
diaphanes et humbles de tarlatane qu’elle peint toutes les couleurs du monde.
Des couleurs que les artistes de Supports-Surfaces comme Daniel Dezeuze ou Noël Dolla avaient déjà posées
sur ce tissu en l’exposant dans les rues comme dans les musées de ce monde que la génération de mai 68
voulait révolutionner.
Des couleurs qui comme celles d’un lever de soleil nous permettent de songer à des jours meilleurs et qui
sont autant de promesses de lendemains qu’elle nous engage à repenser.
Laura s’est prêtée à un jeu de questions/réponses afin de nous en dire plus sur son projet :
NDE- Que voit-on ?
L- Une fenêtre et un espace de couleurs. Des couleurs qui habitent l’épaisseur du mur. Elles murmurent entre
elles, par un jeu de superpositions, de transparences. Des interactions subtiles et possibles, avec les regardeureuses de passage. Des couleurs vivantes qui s’activent parce qu’elles sont ensemble et singulières, parce
qu’elles jouent avec la lumière, reliées par une délicate et discrète trame ajourée.
– Comment est-ce fait ?
– Par imprégnation de peinture à l’eau dans la fibre et la trame de lés de tarlatane. Je peins à plat ou à la
verticale, après avoir disposé la matière ou les matières sur une toile. Je répète ce protocole avec des gestes
sensiblement différents. La tarlatane devient à la fois une éponge et un filtre. Elle retient en quelque sorte
l’essence des couleurs. Ma main lui suggère des reliefs, des plis, que je ne fais que souligner avec mon
pinceau gorgé d’encre. Parfois il m’arrive de tremper la tarlatane directement dans l’encre.
J’aime aussi l’utiliser en extérieur afin de solliciter la matière tarlatane pour qu’elle épouse différents supports et en mémorise les empreintes. Ce gaufrage est momentané car le temps lui rendra sa planéité.
Je m’intéresse à la tarlatane car c’est un tissu modeste. Une matière utile mais souvent déconsidérée. Elle est
traditionnellement utilisée en gravure pour remplir d’encre les sillons de la plaque de cuivre ou de zinc avant
mise sous presse. Mais c’est aussi une fibre que l’on découvre parfois dans la structuration d’un vêtement.
C’est une matière attachante, discrète et sensible, à la trame mouvante sous les doigts.
Elle épouse les formes inlassablement. Légère et diaphane, elle participe à une forme de langage. C’est une
matière à laquelle je suis attachée et que je poursuis d’explorer par mes recherches plastiques.
– Qu’est-ce que cela évoque pour toi ?
– La matérialité, la simplicité possible, le geste immédiat. Avant tout, il s’agit de mettre à profit les éléments
de la peinture et du plaisir de ce rapport physique et presque organique à la couleur comme à cette fibre
choisie.
Cela évoque des couleurs reçues, empruntées mais aussi des couleurs émises, des sensations de soleil, des
impressions de plénitude et d’ivresse des corps, comme celles que l’on peut ressentir devant un lever ou un
coucher de soleil, en buvant un cocktail, ou encore après un bain de minuit… La promesse des possibles.
NDE- Comment s’est opéré le choix du titre ?
L-Je voulais un titre comme l’évocation d’un lieu, d’une chanson, d’une expérience d’insouciance, de liberté
ou de souvenirs fugaces de plénitude.
-En quoi le titre nous informe-t-il ?
– Il parle de la fragilité et de l’importance de ces moments nécessaires à aller chercher dans un rapport très
simple et sensible ce qui est autour de soi.
– Comment cette pièce est-elle arrivée dans ta pratique ?
– Elle est arrivée par le biais de beaucoup de manipulations, d’associations, de collectes de couleurs sur mon
chemin en venant à l’école au petit matin et en en repartant au crépuscule. J’ai eu envie de saisir ces impressions
de lumières et ces couleurs spécifiques avec ma palette d’aquarelles de poche sur un carnet de voyage,
dans le train, entre Quimper et Hennebont.
C’est la fragilité d’un rapport au monde tourmenté mais aussi empli de beauté qui me pousse à saisir ces
moments fugaces et à proposer un langage plastique qui prolonge leur existence.
Un besoin urgent de couleurs et de joie dans la grisaille et le doute. La quête d’une forme plastique qui me
ressemblerait vraiment, la recherche aussi d’un accord à trouver avec la peinture et peut-être avec
moi-même et les autres.
– Est-ce une pièce singulière, ou fait-elle partie d’un corpus plus grand ?
– Elle est solidaire de beaucoup de pièces et de bien d’autres à venir encore.
– Quelles en sont les sources et les liens ?
– Le monde que je traverse, le champ de l’art d’hier comme celui d’aujourd’hui. Tout d’abord les modernistes
qui ont rendu à la peinture sa matérialité comme sujet véritable et offert un espace de parole libre à l’artiste.
Mais aussi toustes celleux qui se sont intéressé.e.s à ce que les couleurs pouvaient provoquer en leurs rendant
leur autonomie et les émancipant des questions de représentation ; celleux qui ont libéré la peinture de ses
conventions durant tout le siècle dernier en offrant une parole aux artistes qui puisse être autonome, libre et
souvent politique. Mais aussi celleux qui ont décidé que tout était art en poursuivant les recherches de Marcel
Duchamp.
Des mouvements comme le mouvement Color Field-Painting qui a été une source d’inspiration importante,
Supports-Surfaces ou l’Expressionnisme Abstrait, et des artistes comme Mark Rothko, Claude Viallat, Justin
Morin, Vivian Suter, Jessica Warboys, Cécile Bart, Flora Moscovici pour n’en citer que certain.e.s.
– Qu’est-ce que ce projet t’a appris ? En quoi a-t-il déplacé ou ouvert quelque chose dans ta pratique ?
– Il m’a donné accès au champ de la peinture. Il m’a fait découvrir l’espace et le dialogue sensible avec les
regardeureuses.
Cela m’a permis d’approfondir que le commun, la fragilité avaient des existences légitimes et fondamentales
pour moi et désormais une place assumée dans mon monde, celui de l’art certainement.
Que les accords sont possibles et infiniment variables et dépendent de nos rapports au monde.
Que j’ai un positionnement et une parole possible grâce à ce médium avec lequel je noue une relation étroite
et sensible.